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Isidore Bilitik.
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Défricher la misère en Afrique et patout ailleurs
en passant par Haïti.
C’est en juillet 1944, quarante-deux jours avant sa mort, que Jacques Roumain, romancier haïtien mais aussi
poète, journaliste, ethnologue et militant marxiste, a achevé l’écriture de ce roman. La simplicité du propos
portée par la justesse du ton et la douceur empreinte de passion du langage poétique invitent à dévorer les
pages d’un récit qui apparaît d’une saisissante actualité.
Le village de Fonds-Rouge se meurt : aggravée par une déforestation irresponsable, par la haine qui divise les
habitants en deux clans et par la résignation qu’encourage la religion, la sécheresse fait le lit de la misère.
« La vie était tarie à Fonds-Rouge. On n’avait qu’à écouter ce silence pour entendre la mort, se laisser aller
à cette torpeur et on se sentait enseveli. » Seul un élément extérieur peut secouer ce fatalisme suicidaire :
c’est Manuel, fils de Desira et Bienaimé, qui va, peu à peu, faire renaître l’espoir. Après quinze ans d’exil
à Cuba comme coupeur de canne à sucre, il est de retour au pays, mais, pour lui, plus rien n’est comme avant.
« L’expérience est le bâton des aveugles et j’ai appris que ce qui compte, c’est la rébellion, et la connaissance
que l’homme est le boulanger de la vie. – Ah, nous autres, c’est la vie qui nous pétrit. – Parce que vous êtes
une pâte résignée, voilà ce que vous êtes. » Pour sauver son village, il doit trouver l’eau qui ramènera la vie.
Soutenu dans sa détermination par l’amour de la belle Annaïse, il va débusquer la source perdue.
« L’eau. Son sillage ensoleillé dans la plaine ; son clapotis dans le canal du jardin, son bruissement lorsque,
dans sa course, elle rencontre des chevelures d’herbes ; le reflet délayé du ciel même à l’image fuyante des roseaux ;
les négresses remplissant à la source leurs calebasses ruisselantes et leurs cruches d’argile rouge ; le chant
des lessiveuses ; les terres gorgées, les hautes récoltes mûrissantes. » Roumain puise dans les nombreuses
facettes de son talent pour dépeindre chaque scène avec une précision telle que les paysages de plaines et
de mornes, de bayahondes et de lataniers n’ont plus de secret pour le lecteur. De même, les visages et toutes
leurs expressions dans le moindre détail défilent sous nos yeux, limpides et profondément attachants.
Selon Jacques-Stephen Alexis, autre grand écrivain haïtien, ce livre est « peut-être unique dans la littérature mondiale
parce qu’il est sans réserve le livre de l’amour ». C’est un hymne à la vie. Avec intelligence, Roumain démontre
la nécessité de l’union et de la solidarité pour faire face à l’injustice, tout comme celle de la lutte et de
l’instruction pour maîtriser son existence. S’ils veulent conduire l’eau jusqu’au village, les gouverneurs de
la rosée devront organiser un grand coumbite – travail collectif de la terre – « pour défricher la misère et
planter la vie nouvelle ».
Tristement, ce roman est aussi visionnaire : soixante ans après sa première publication, Haïti est déboisé à
98 % à cause de l’usage du charbon de bois comme combustible, et près de la moitié de la population est encore
analphabète. D’où l’utilité de cette réédition. D’où l’extrême urgence de la lire et de prendre conscience.